Commentaire de texte : « Je t’écris » de Gaston Miron

Introduction

1            Je t’écris pour te dire que je t’aime

2            que mon cœur qui voyage tous les jours
3            – le cœur parti dans la dernière neige
4            le cœur parti dans les yeux qui passent
5            le cœur parti dans les ciels d’hypnose –
6            revient le soir comme une bête atteinte


7            Qu’es-tu devenue toi comme hier
8            moi j’ai noir éclaté dans la tête
9            j’ai froid dans la main
10          j’ai l’ennui comme un disque rengaine
11          j’ai peur d’aller seul de disparaître demain
12          sans ta vague à mon corps
13          sans ta voix de mousse humide
14          c’est ma vie que j’ai mal en ton absence


15           Le temps saigne
16           quand donc aurai-je de tes nouvelles
17           je t’écris pour te dire que je t’aime
18           que tout finira dans tes bras amarré
19           que je t’attends dans la saison de nous deux
20           qu’un jour mon cœur s’est perdu dans sa peine
21           que sans toi il ne reviendra plus

 

Présentation de l’auteur

Gaston Miron (1928-1996), poète du Québec, est né à Sainte-Agathe-des-Monts dans la région des Laurentides. Après quelques années d’étude en sciences sociales, il s’implique dans différents mouvements sociaux avant de fonder, en 1953, la maison d’édition l’Hexagone. Cette maison, consacrée à la publication de recueils de poèmes, marquera sensiblement l’histoire de la poésie québécoise, en particulier la poésie de la Révolution tranquille, période d’émancipation socio-économique associée à l’affirmation de l’identité québécoise. Gaston Miron et ses collègues de l’Hexagone valoriseront à cet égard une poésie « engagée » politiquement, mais aussi une poésie « moderne » sur les plans formel et thématique.

Minutieux dans son travail et impliqué dans différentes causes politiques (il dénonce « l’aliénation linguistique » des Canadiens français en critiquant le bilinguisme institutionnel en vigueur au Québec et milite pour l’indépendance du Québec), Gaston Miron prendra du temps avant de publier, en 1970, son unique recueil : L’homme rapaillé, qui contient des poèmes écrits au cours des années 1950 et 60. Le mot « rapaillé », assez inusité, se rapporte à l’action de remplir quelque chose avec de la paille. Dans cette perspective, le recueil de Miron évoque un désir de « rapailler » un homme vidé de sa substance, un homme sans identité propre. Cet homme, c’est bien entendu l’homme québécois, mais c’est aussi l’être humain au sens large du terme.

Parmi les thèmes de L’homme rapaillé reliés à cette quête identitaire, il y a celui de l’amour : tout au long du recueil, le poète associe le désir de trouver un « pays » au désir de trouver l’amour. Comme l’ont remarqué certains de ses lecteurs, Gaston Miron s’inscrit à cet égard dans une longue tradition occidentale, dont celle de la poésie courtoise, en établissant un lien entre sa quête d’unité identitaire et sa quête amoureuse.

 

Présentation du poème « Je t’écris »

Il n’est pas question explicitement de politique dans le poème « Je t’écris », situé au début de L’homme rapaillé, et ce, bien qu’il annonce le thème de la « femme-pays » que l’on retrouve ailleurs dans le recueil. Écrit dans un style limpide, ce poème évoque très simplement une peine amoureuse : le locuteur, on le comprend dès le premier vers, écrit à une femme absente. Le poème mime en ce sens le style épistolaire.

D’un point de vue formel, la première strophe est écrite en décasyllabes, mais les deux autres strophes contiennent des vers de longueur varié s’approchant parfois du décasyllabe. Nous pouvons remarquer que l’emploi du vers libre intervient au moment où le locuteur exprime ses émotions les plus fortes (« moi j’ai noir éclaté dans la tête / j’ai froid dans la main / j’ai l’ennui comme un disque rengaine », v. 8 à 10), comme si l’excès d’émotion nécessitait de se libérer du vers fixe. Ces derniers vers montrent aussi que Gaston Miron n’emploie aucun signe de ponctuation (à l’exception des tirets du troisième vers) et qu’il déroge parfois aux lois de la syntaxe française : « moi j’ai noir éclaté dans la tête ». Ce phrasé, ajouté à l’absence de ponctuation, impose un débit de voix plus rapide et laisse supposer que l’émotion envahissant le locuteur l’empêche de parler « normalement ». D’une certaine façon, l’éclatement évoqué dans ce vers correspond à l’éclatement syntaxique de la phrase. Il évoque aussi la pauvreté linguistique du sujet qui s’exprime avec peine : « c’est ma vie que j’ai mal en ton absence ».

 

 

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