
le gros monde veut me vendre une église
des habits neufs
de beaux chapeaux
le gros monde veut me border
de fleurs de lampadaires
de taxes foncières
le gros monde dit connaître le danseur
il souhaite qu’il jongle
qu’il amuse qu’il performe
le gros monde hait tout ce qu’il est
sa race sa foi son histoire
tout ce que tu représentes
le gros monde a des plans
il veut oublier effacer
tout ce qu’il ne peut vendre
mais au cœur de la vallée gronde
la colère de la vérité :
« rappelle-toi l’odeur de la terre
lorsque chantent les femmes »
« rappelle-toi le chant du tonnerre
lorsque frappe le printemps »
« rappelle-toi tatoué sur des poings de sang
tu es la hache de ton père »
*
une terre cadavérique
bordée d’édits
d’interdits
de règles qui mentent
une terre rêche
engraissée au mépris
à l’arrogance
à la folie
un corps de réserve gît
sous un soleil
de minuit
moins une
*
et puis ce n’est plus
nous
nos fautes nos errances
nos pas erratiques sur le sentier
ce n’est plus nous
dansant en rond
chantant en chœur
ce n’est plus nous
les gardiens
*
au cœur de la forêt des Têtes-Coupées
un silence imposé
Grand Frère Soleil n’y pose plus les yeux
que sont devenus
nos guerriers d’hier?
où se terrent les mots chuchotés
de nos mères nos filles?
mon
pays perd pied
ses racines se travestissent en souches
pourrissent dans l’ombre
loin du regard de Petite Tortue
*
mes doigts s’acculent contre l’argile
façonnent mes rêves un peu trop ouvertement
mes mains s’enracinent
mes os s’articulent en trompette
sur la terre des souvenirs
je pleure une ascendance
un passage vers l’absolu
Louis-Karl Picard-Sioui, « le gros monde… », De la paix en jachère, Éditions Hannenorak, 2012.