Le sultan

Dans les montagnes de Cachemire

Vit le sultan de Salamandragore

Le jour il fait tuer un tas de monde

Et quand vient le soir il s’endort

Mais dans ses cauchemars les morts se cachent

Et le dévorent

Alors une nuit il se réveille

En poussant un grand cri

Et le bourreau tiré de son sommeil

Arrive souriant au pied du lit

S’il n’y avait pas de vivants

Dit le sultan

Il n’y aurait pas de morts

Et le bourreau répond D’accord

Que tout le reste y passe alors

Et qu’on n’en parle plus

D’accord dit le bourreau

C’est tout ce qu’il sait dire

Et tout le reste y passe comme le sultan l’a dit

Les femmes les enfants les siens et ceux des autres

Le veau le loup la guêpe et la douce brebis

Le bon vieillard intègre et le sobre chameau

Les actrices des théâtres le roi des animaux

Les planteurs de bananes les faiseurs de bons mots

Et les coqs et leurs poules les oeufs avec leur coque

Et personne ne reste pour enterrer quiconque

Comme ça ça va

Dit le sultan de Salamandragore

Mais reste là bourreau

Là tout près de moi

Et tue-moi

Si jamais je me rendors.

Bibliographical info

Jacques Prévert, « Le sultan », in Paroles, paru aux Éditions Gallimard, 1946
© Fatras / Succession Jacques Prévert, tous droits numériques réservés.

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