Les rêves morts

Je voudrais pour aimer avoir un cœur nouveau

Qui n’eût jamais connu les heures de détresse,

Un cœur qui n’eût battu qu’au spectacle du beau

Et qui fût vierge encor de toute autre tendresse;

 

Mais je porte en moi-même un horrible tombeau,

Où gît un songe mort, loin de la multitude :

J’en ai scellé la porte et seul un noir corbeau

Du sépulcre maudit trouble la solitude!

 

Cet oiseau de malheur, c’est l’âpre souvenir,

C’est le regret des jours vécus dans la souffrance,

Qui ronge jusqu’aux os mes rêves d’avenir,

Beaux rêves glorieux, morts de désespérance.

 

Sans cesse l’aile sombre au fond de moi s’ébat,

Son grand vol tournoyant fait comme la rafale,

Qui siffle en accourant vers la fleur qu’elle abat

Et disperse les nids, dans sa course fatale.

 

Pourtant, d’un port lointain, si le vent, quelquefois,

M’apporte la chanson d’un ami sur la route,

À l’émoi de mon cœur je reconnais sa voix,

Car il cesse de battre, et tout mon être écoute.

Pour aller plus loin

1. Ce poème aborde la tristesse, la blessure. Le mauvais souvenir prend la forme d’un oiseau. Relevez les passages où on trouve cette allégorie.

 

2. Observez l’alternance des rimes : plusieurs comportent des contrastes frappants. Lisez à nouveau la troisième strophe et commentez-en l’effet des rimes. Sont-elles riches, suffisantes, pauvres? S’agit-il de synonymes ? d’antonyme?

 

3. Rien n’indique la nature ou le genre du narrateur ou de la narratrice. Selon vous, est-ce que cela a un effet sur la portée du poème? Pourquoi?

 

4. Retracez l’évolution des sentiments de la première à la dernière strophe et tentez une première récitation en suivant cette évolution. Vous pouvez vous inspirer de notre plan des tons.

 

5. Le cœur brisé est certainement un thème qui traverse les époques, les milieux, les cultures. Essayez de comparer une peine que vous avez vécue à un animal. Qu’est-ce que cet animal vous fait? Essayez d’écrire un petit poème à partir d’une allégorie malheur-animal.

 

Liens :

 

Un article qui situe Gaëtane de Montreuil parmi les pionnières de l’écriture des femmes au Québec : Boivin, Aurélien. « Des proses et des femmes au Québec : des origines à 1970 », Québec français, 1982, p. 22-25.

Section « Pour aller plus loin » rédigée par
Bibliographical info

 

Montreuil, Gaétane de, « Les rêves morts », dans Claude Beausoleil, Les romantiques québécois, Montréal, Les Herbes rouges, 1997.

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