Les séparés

N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.

Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.

J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,

Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.

                        N’écris pas !

 

N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes,

Ne demande qu’à Dieu... qu’à toi, si je t’aimais !

Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,

C’est entendre le ciel sans y monter jamais.

                        N’écris pas !

 

N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;

Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.

Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.

Une chère écriture est un portrait vivant.

                        N’écris pas !

 

N’écris pas ces deux mots que je n’ose plus lire :

Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;

Que je les vois brûler à travers ton sourire ;

Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.

                        N’écris pas !

Bibliographical info

Marceline Desbordes-Valmore, (1786-1859), « Les séparés », dans Les œuvres poétiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1973 [1839].

Start here: