malgré ma barbe de cinq jours
mes poils de tête hirsutes et gras
mes affreux cernes qui toujours
dans mes joues descendent plus bas
des tas d’yeux s’accrochent à ma bouille
des vieux des jeunes ou des enfants
qui se suspendent à leurs parents
mais souvent sur moi se retournent
certains me disent c’est ta bouche
c’est tes cheveux d’autres m’ont dit
c’est ton regard un peu qui louche
sur tout ce qui se traîne ici
ah ! si c’était pour ma personne
que ces yeux viendraient me chercher
pour me saisir et pour toucher
tout autre chose que la somme
fortuite des seuls éléments
qui font simplement qu’aujourd’hui
on se croise on se zieute et puis
tout recommence comme avant
ah ! si c’était enfin la chose
unique éternelle enfermée
dans nos corps de pauvre peau close
si c’était l’Arche de Noé
on partirait sur ce vaisseau
d’un dock d’Anvers et par l’Escaut
rejoindre le sang du soleil
et là s’éclater en plein ciel
se fondre au flot de ces sanglots
que l’Océan sans fin remue
digère et chie vomit et sue
livre au jeu d’un vieux cachalot
s’en venant s’échouer un soir
au sable des plages du Nord
et pourrir son poids de remords
dans ce désert glacial et noir
William Cliff, America, © Éditions GALLIMARD.
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